LES GRANDS LOUVETIERS DE FRANCE - par M. A. FOURTIER - 1868

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Armes: blasons et parfois cimier, légende et devise, tenants et supports et autres ornements extérieurs.

Nous venons d'inscrire le titre d'une charge qui fut le partage d'un grand officier de la maison du roi, du XVe siècle aux derniers jours de l'ancienne monarchie.
Avant de donner les noms et les armes des personnages qui occupèrent cette charge, nous dirons quelques mots de son objet et de son institution.
Aux temps primordiaux, les loups habitent par grandes bandes les forêts qui couvrent de leurs masses serrées une partie notable de la vieille Europe. Les défrichements entrepris par les premiers occupants, poursuivis activement par leurs successeurs, parviennent à les refouler, mais c'est pour rendre leurs attaques plus hardies et plus sanguinaires. Les épieux à la pointe acérée arment alors la main des laboureurs: les grandes tueries de loups commencent. La lutte engagée durera bien des siècles; c'est que l'homme disputera au tyran des forêts, sa femme, ses enfants, son bétail: ses affections et sa fortune.
Qu'on s'étonne dès lors du rôle fatal que joue le loup dans les idées antiques! Pour les Scandinaves, dont la mythologie exerce, au moyen âge, tant d'influence sur nos traditions, le loup n'est autre que le mauvais principe. Alors naît la croyance en l'existence de l'homme qui, par un pacte contracté avec le diable, s'est fait loup-garou (gar ulf, chez les Volsuags). Cette croyance étrange, écho affaibli des vives impressions ressenties autrefois, n'a pas entièrement disparu de nos provinces reculées. Ajoutons que l'influence des idées anciennes, à l'encontre du sanguinaire animal, se ressent encore dans cette quantité notable de proverbes où le mot loup revient pour jouer un rôle important.
La peur des loups propagée, entretenue par les êtres faibles qui ne peuvent lutter contre leurs bandes affamées; s'explique et se justifie suffisamment. Nous constatons qu'au XIVe siècle, et pendant les hivers rigoureux, les loups se jettent résolument par troupes sur les villages et dévastent les campagnes alarmées (Voir une ordonnance de Charles VI du 17 juin 1399).
Aux XVe et XVIe siècles, le nombre en est si grand encore, l'audace qu'ils déploient est telle, qu'ils pénètrent dans Paris et y dévorent un enfant sur la place de Grève (Lettre du mois de juillet 1045. relative aux habitants d'Aubervillers. - Journal de Henri IV, année 1595, 12 août . - Tresor d'Histoires, par Goulart.). Dans le Gévaudan, une armée royale dut être lancée à leur poursuite; le fait se renouvela presque, au XVIIIe siècle, contre cette fameuse bête du Gévaudan, qui, pendant bien des mois, tint la France entière en émoi.
Il fallait en effet que le nombre de ces hôtes des forêts fût immense, car dès longtemps le massacre en était en quelque sorte réglementé. Ouvrez les lois des Bourguignons, les Capitulaires; vous les trouverez renfermant de nombreuses dispositions relatives à la destruction des loups, proposant même des prix à ceux qui les prendraient vivants. Charlemagne voulait que chaque comte établît dans son gouvernement deux louvetiers, et lui envoyât tous les ans les peaux des animaux qu'ils auraient tués ou fait tuer.
Une charge de maître louvetier fut en conséquence fondée près de la couronne pour imprimer aux chasses une impulsion forte en même temps que rassurante pour les populations. Nous n'avons pu retrouver la date de cette institution; mais de même que le maître fauconnier était devenu grand fauconnier en 1250; le maître veneur, grand veneur en 1413; le maître louvetier fut créé en charge de grand louvetier en 1467, dans la personne de Pierre Hannequau (C'est l'époque où les charges deviennent plus stables. En 1471, paraît la déclaration de Louis XI, portant que " il ne sera donné aucun office s'il n'est vacant par " mort, résignation ou forfaiture. "). En cette qualité, le grand louvetier fut mis en possession des mêmes prérogatives que ses collègues de la fauconnerie et de la vénerie. Il eut de plus le droit de nomination dans les provinces " de lieutenants de louveterie chargés de prendre les mesures propres à empescher les dégâts et ravages faits par les loups, louves, renards et toutes autres bestes nuisibles. " Si le grand louvetier prêtait serment entre les mains du roi, il recevait celui de ses lieutenants qui étaient, comme lui, commensaux de la maison du roi. En marque de sa dignité, il accostait ses propres armes de deux têtes de loup de front. (P. Menestrier.)
En 1635, le grand louvetier, qui était M. de Roquemont, recevait par an 300 livres de gages; plus 1,800 livres pour l'entretien de ses piqueurs, de sa meute; enfin 150 livres pour son page. Deux siècles avant, le louvetier de Réthel avait pour gages un muid de blé et 8 livres d'argent!
Et bien lourde était la mission de ces louvetiers; ils exécutaient à la lettre les édits royaux et ordonnances qui dès le XIVe siècle réglementèrent plus particulièrement la chasse. Ceux du 28 mars 1375, du 25 mai 1413, de janvier 1583, de mai 1597, de juin 1601, déposent des graves préoccupations qu'entretenait dans les campagnes la présence de nombreuses bandes de loups, surtout après les grandes guerres qui, à tant de reprises, ensanglantèrent le sol de la France et dépeuplèrent quelques-unes de ses plus belles provinces.
Les baillis et sénéchaux avaient ordre de multiplier les mesures de défense contre l'ennemi commun. Les dimanches et jours de fêtes, dans la plupart des paroisses, les paysans rassemblés venaient entourer de toiles les montagnes et les forêts, et une chasse commençait, impitoyable. Au XVe siècle et jusqu'au milieu du XVIe siècle, la prime pour la destruction d'un loup fut de cinq sous et pour une louve de dix sous, payables par les villages voisins du lieu où l'animal avait été pris. Les habitants de Paris en étaient exempts. (Ordonnances des eaux et forêts. Chasse du loup, par Clamorgan, Rouen 1598, fig.)
Le dernier acte du pouvoir concernant la louveterie est du 15 janvier 1785. L'emprunt que nous allons lui faire montre toute l'importance qu'avait alors la fonction.
Maintient Sa Majesté son grand louvetier dans le droit et faculté de chasser et de faire chasser aux loups, louves, blaireaux et autres bêtes nuisibles, par lui, ses lieutenants, sergents et autres qu'il pourra commettre, à cor et à cri, force de chiens et avec toutes sortes d'armes, bâtons et piéges, filets et engins, tant dedans que dehors les bois, buissons, forêts ou quelque lieu que ce soit du royaume, soit dans les terres ou domaines appartenant à Sa Majesté, soit dans celles appartenant aux ecclésiastiques, seigneurs et autres.
C'est une guerre à outrance qui est ordonnée; encore quelques années, et l'institution, avec tant d'autres, sera emportée par la tourmente révolutionnaire.
En remontant sur le trône de leurs pères, les Bourbons ne rétablirent pas la charge de grand louvetier, dont l'utilité, en effet, ne s'imposait plus; mais ils conservèrent la louveterie dont les lieutenants provinciaux furent placés dans les attributions du grand veneur et ensuite de l'administration des forêts.
Dans l'accomplissement de leur mission, ces lieutenants trouvent des aides puissants dans ces grandes compagnies de chasses que l'automne et l'hiver rallient sous nos hautes futaies, avec leurs belles laisses de chiens qu'anime si bien le son du cor. Au pied des Vosges, aux flancs boisés, aux fourrés difficiles, retentit souvent un bruyant hallali. D'intrépides chasseurs se réunissent vêtus de l'habit de velours orné d'un bouton uniforme, dont la devise est: Piqu'avant Conflans. Voici M. de Mandre, le maître du bouton, l'organisateur dans son vaste domaine de la Chandeau, de joyeuses chasses où brillent le général de Mirbeck, M. Toussenel, l'ornithologiste, le général Halna du Fretay, MM. du Bouvot, Duchon et tant d'autres, habiles tireurs qui n'ont pas froid aux yeux, à ce qu'assure le vieux piqueur qui a fait le bois.
Ainsi se conservent et se pratiquent les traditions de la grande louveterie.

NOMS ET ARMES DES GRANDS LOUVETIERS

Du XVe au XVIIIe siècle.

Pierre Hannequau qualifié grand louvetier en 1467. Armoiries inconnues.
Jacques de Rosbarch en 1471. Armoiries inconnues.
Antoine de Crèvecœur de Thiennes, de Thois, bailli d'Amiens, 1479. De gueules à trois chevrons d'or.
François de la Boissière écuyer, maître des eaux et forêts du bailliage de Montargis, 1479. D'or à trois arbrisseaux de gueules.
Jean de la Boissière seigneur de Montigny sur Loing, fils du précédent, mort en 1533. D'or à trois arbrisseaux de gueules.
Jacques de Mornay seigneur d'Ambleville, d'Omerville et de Villarceaux, 1540. Burelé d'argent et de gueules au lion morné de sable, couronné d'or, brochant sur le tout.
Antoine de Hallwin seigneur de Pienne, de Buguenhoult et de Marguelois, chevalier de l'ordre du roi (Flandres), tué à l'assaut de Therouenne en 1553. D'argent à trois lions de sable armés, lampassés et couronnés d'or.
Jean de la Boissière seigneur de Montigny-sur-Loing, maître d'hôtel ordinaire du roi, quatrième fils de Jean ci-dessus, grand louvetier en 1554, mort en 1575. D'or à trois arbrisseaux de gueules.
François de Villiers chevalier, seigneur de Chailly, de Livry et de Montigny-sur-Loing, maître d'hôtel du roi, neveu du précédent, mort en 1581. D'or, au chef d'azur chargé d'un dextrochère d'argent mouvant du flanc senestre, revêtu d'un manipule d'hermine, pendant sur l'or. Devise: Va oultre et: La main à l'œuvre.
Jacques le Roy chevalier, seigneur de la Grange le Roi et de Grisy-en-Brie (Ile de France), de 1582 à 1601. D'azur à trois oiseaux d'argent et un croissant de même en cœur.
Claude de l'Isle seigneur d'Andresy, de Puiseux, de Boisemont et de Courdemanche; cesse ses fonctions en 1606. De gueules, à la fasce d'argent, accompagnée de sept merlettes de même, 4 en chef et 3 en pointe.
Charles de Joyeuse seigneur d'Espaux (Vivarais), de 1606 à 1612. Écartelé, aux 1 et 2 pallé d'or et d'azur, au chef de gueules, chargé de trois hydres d'or; aux 3 et 4 d'azur, au lion d'argent, à la bordure de gueules chargée de huit fleurs de lys d'or.
Robert de Harlay baron de Montglat (Ile de France); tué en duel en 1615. D'argent à deux pals de sable.
François de Silly duc de la Rocheguyon, damoiseau de Commercy, marquis de Guercheville (Lorraine), mort en 1628. D'hermine à la fasce ondée de gueules, surmontée de trois tourteaux de même.
Cl. de Saint-Simon duc de Saint-Simon, pair, vicomte de Clastres, baron de Benais, vidame de Chartres, etc. 1628. Écartelé, aux 1 et 4, parti de Vermandois et de Rouvroy; aux 2 et 3 d'Haverskerque; et sur le tout losangé d'argent et de gueules, à un chef d'argent qui est la Vacquerie.
Philippe Anthonis seigneur de Roquemont, cornette de chevau-légers de la garde, nommé grand louvetier sur la démission de seigneur de Saint-Simon en 1628, il lui remit la charge lorsque celui-ci fut fait duc, en 1636. D'or au chevron de gueules accompagné en pointe d'un sanglier.
Charles de Bailleul seigneur du Perray et du Plessis-Briart, gentilhomme de la chambre du roi, son maître d'hôtel; grand louvetier en 1643, se démit pour son fils en 1651. Parti d'hermine et de gueules.
Nicolas de Bailleul seigneur du Perray, du Plessis-Briart et de Courcouronne; de 1651 à 1655. Parti d'hermine et de gueules.
François Gaspard de Montmorin marquis de Saint-Herem, seigneur de Volore, de Châteauneuf, de Saint-Germain etc.; de 1655 à 1701. De gueules, semé de molettes d'argent, au lion de même.
Michel Sublet chevalier, marquis de Heudicourt, de Saint-Paire, d'Hébécourt, du Mesnil, etc. (Lorraine). De 1701 à 1718. D'azur au pal bretessé d'or, maçonné de sable, chargé d'une vergette de même.
Pons Auguste Sublet marquis de Heudicourt, mestre de camp du régiment de Vivarais, fils du précédent; mort en 1736. D'azur au pal bretessé d'or, maçonné de sable, chargé d'une vergette de même.
Armand de Belzunce comte de Castel-Moron (Navarre); mort en 1741. D'argent à une hydre de sinople dont une des têtes est coupée et tient encore un peu par le col, avec quelques gouttes de sang qui coulent de la blessure.
Gaston de Grossoles marquis de Flamarens (Guyenne), de 1741 à 1780. D'or au lion de gueules naissant d'une rivière d'argent, au chef d'azur chargé de 3 cloches d'or.
Clairon comte d'Haussonville (Bourgogne); de 1780 à 1789. De gueules à la croix d'argent, cantonnée de quatre croisettes tréflées de même; sur le tout de Saffres qui est de gueules à cinq saffres ou aiglettes de mer d'argent. Devise : Sonne haut Clairon.