PETIT HISTORIQUE par M. Jouffroy d'ESCHAVANNES

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Extrait du livre de Jouffroy d'Eschavannes : Traité complet de la Science du Blason
à l'usage des Bibliophiles, Archéologues, Amateurs d'objets d'art et de curiosité
Numismates, Archivistes
PARIS - Librairie ancienne et moderne - Edouard Rouveyre - 45, rue Jacob, 45 - 1885

TRAITE DU BLASON

ORIGINE DES ARMOIRIES

ans tous les temps, les guerriers ont adopté certaines marques symboliques dont ils ornaient leurs casques ou leurs boucliers, mais sans leur attribuer ni leur reconnaître aucun caractère d'hérédité, aucun symbole de noblesse. Homère, Virgile et Pline parlent des figures représentées sur les boucliers des héros qui assistaient au siège de Troie. Philostrate dit qu'une aigle d'or sur un bouclier était le blason royal des Mèdes, assertion

confirmée par Xénophon au livre 1er de son histoire; et tous les auteurs grecs sont remplis des devises d'Arsace, de Cyrus, de Cambyse, de Darius et de Xerxès. Les boucliers et les casques des Grecs étaient à cette époque ornés d'une multitude de signes de ce genre. Diodore de Sicile croit que les Egyptiens avaient inventé ces images symboliques, et quelques auteurs se sont appuyés sur cette opinion pour attribuer aux Pharaons l'origine des armoiries. Le Père Monnet pense qu'une espèce de blason existait déjà sous Auguste, et s'exprime ainsi: "Le vrai usage des boucliers armoriés et des blasons de couleurs et de métaux d'armes a pris origine sous Octave-Auguste, empereur, lequel usage a continué et s'est augmenté sous les empereurs ses successeurs, et, depuis, s'est perfectionné tant ès Gaules qu'ès autres royaumes de l'Europe après l'empire romain failli et les légions romaines éteintes." Cette opinion est parfaitement acceptable quant aux emblèmes adoptés par les anciens, mais elle est erronée quant à la prétention de voir chez les Romains les règlements d'une science héraldique. Autant vaudrait alors se ranger de l'avis d'André Favin avançant que le blason est dû aux fils de Seth, qui, afin de se distinguer des enfants de Caïn, prirent pour armoiries les figures de diverses choses naturelles, fruits, plantes et animaux, tandis que la postérité du réprouvé se distingua au moyen des instruments des arts mécaniques. Ségoin soutient que les enfants de Noé inventèrent les armoiries après le déluge, et cite Zouare, historien grec, dans le quatrième livre des ses Annales; malheureusement, cet auteur n'ayant écrit que trois livres, l'assertion de Ségoin doit trouver peu de partisans.

Enfin, selon d'autres, les armoiries étaient en usage lorsque les hébreux sortirent d'Egypte, parce qu'il est dit au livre des Nombres que ce peuple campait par tribus, ou familles distinguées au moyen de leurs enseignes et drapeaux. Sur ce fondement, ils ont imaginé que les douze tribus représentaient les douze signes du zodiaque, et se sont empressés de donner à chacune l'image d'une constellation; ou bien, interprétant les prédictions de Jacob à ses enfants sur ce qui leur arrivera après sa mort, ils y ont encore trouvé un sujet d'armoiries. Ainsi la tribu de Juda avait un lion, parce que Jacob dit: Catulus leonis Juda, etc...; la tribu de Zabulon, une ancre; d'Issachar, un âne; de Dan, un serpent; de Gad, un homme armé; de Siméon, une épée; d'Asser, des tourteaux; de Nephtali, un cerf; et de Benjamin, un loup. La Genèse, le Deutéronome, et tous les livres sacrés sont tour à tour invoqués pour trouver une origine mystérieuse aux armoiries.

Mais tous ces auteurs, malgré les peines qu'ils se sont données, n'ont prouvé qu'une chose incontestable d'ailleurs et incontestée: c'est que les hommes, dès l'origine des sociétés, ont voulu se distinguer de leurs semblables par quelques symboles ou hiéroglyphes, et que les sociétés elles-mêmes ont bientôt senti la nécessité d'avoir des signes au moyen desquels leurs différentes fractions pussent se réunir en ordre. Ces signes, quelquefois enfantés par la vanité, n'étaient-ils pas aussi les premiers éléments de l'organisation, les premières bases de la hiérarchie sociale? Singulière destinée de cette science, dont les prémices furent un hommage rendu aux lois sociales, et qu'on a vue de nos jours considérée comme un brandon de désunion entre les hommes!

Ce qu'on peut donc affirmer avec raison, c'est que de tout temps il y a eu des marques symboliques portées par des individus sur leurs casques ou leurs boucliers, et par des réunions d'hommes sur les drapeaux et étendards; mais elles ne furent point d'abord des marques héréditaires de noblesse. Il est vrai que quelques-unes ont passé aux enfants: ainsi, d'après Italicus, un des Corvins avait le corbeau de Valerius Corvinus pour cimier; et Ovide dit qu'Egée reconnu son fils Thésée en voyant les marques de sa race sur le pommeau de son épée. Mais ce n'était là que des ornements dépendants du caprice, et non des armoiries soumises à un code. Les Romains n'eurent certainement jamais d'armoiries semblables aux nôtres; puisque sur les nombreux arcs de triomphe, tombeaux, temples et autres monuments qu'ils nous ont laissés, on n'en trouve aucun vestige. Auguste et ses successeurs firent graver des images sur les boucliers des soldats, mais toute une cohorte, toute une légion portait la même figure, qui devenait un signe de ralliement. On ne trouve pas autre chose dans la notice de l'empire.

Chez les Gaulois, quelques emblèmes mystérieux adoptés par les druides, tels que la branche de gui, que le peuple avait en grande vénération, et des initiales ou des images d'idoles gravées sur des bagues, voilà tout ce que les recherches ont procuré jusqu'à présent. C'est toujours, comme chez les autres peuples, une disposition à se parer d'emblèmes, à en revêtir les choses sacrées, à donner par ce moyen, pour ainsi dire, une figure palpable au mysticisme religieux; mais des règles déterminées, de formes constantes ou héréditaires, il n'y en a aucune trace.

Si l'on traverse l'époque d'invasion pour arriver à celle où les Francs sont établis en maîtres et en vainqueurs, on retrouve les mêmes faits; et plus tard encore les preux de Charlemagne ne connaissent d'autres armoiries que les bannières militaires, insignes de commandement et d'autorité, mais non encore de noblesse héréditaire.

Les armoiries, telles quelles sont aujourd'hui ne datent que du onzième siècle, ou de la fin du dixième, car on n'en retrouve aucune trace sur les monuments antérieurs à cette époque. Les plus anciens tombeaux n'ont que des croix et des inscriptions avec la représentation au trait de ceux qui y sont inhumés; et l'on doit attribuer à une restauration les figures héraldiques qui peuvent se rencontrer sur plusieurs. C'est au onzième siècle seulement que les sceaux commencent à porter des armoiries, et le petit nombre des monuments de ce genre laisserait à penser que l'usage n'en était pas encore très répandu.

On possède le contrat de mariage de Sanche, infant de Castille, avec Guillemine, fille de Centule Gaston II, vicomte de Béarn, de l'an 1000, au bas duquel il y avait sept sceaux apposés, dont deux se sont conservés entiers. Le premier représente un écu chargé d'un lévrier; le second est un écu tranché par des barres transversales. M. de Villaret, qui s'est livré à l'examen des sceaux, prétend qu'on peut certainement reconnaître sur le second les figures du blason moderne. Il en eût pu dire autant du premier, qui pouvait bien être le sceau de Garcie-Arnaud, comte d'Aure et de Magnoac, lequel vivait dans le même temps, et dont les descendants ont toujours porté un lévrier dans leurs armes.

Deux sceaux d'Adelbert, duc et marquis de Lorraine, apposés à deux chartes des années 1030 et 1037 de l'ère vulgaire, représentent un écu chargé d'une aigle au vol abaissé.

Un acte de l'an 1072 (l'authenticité de cet acte a été contestée par M. D. Mabillon et quelques autres) porte un sceau de Robert le Frison, comte de Flandres, sur lequel est un lion; et un diplôme de Raymond de Saint-Gilles, de l'an 1088, est scellé d'une croix vidée, cléchée et pommetée, telle que l'ont toujours portée depuis les comtes de Toulouse. L'historien du Languedoc avait pensé que cette dernière pièce était le plus ancien monument héraldique, mais les chartes citées plus haut détruisent cette opinion.

Le sceau de Thierri II, comte de Bar-le-Duc et de Montbéliard, mis au bas d'un acte de l'an 1093, représente deux bars adossés.

Il est bon d'ajouter à l'appui de ce sentiment que le moine de Marmoutiers, qui a écrit l'histoire de Geoffroi, comte d'Anjou, l'an 1100, parle du blason comme d'un usage établi depuis longtemps dans les familles illustres.

Ces marques distinctives commencent donc tout au plus au onzième siècle à devenir héréditaires dans quelques familles, mais seulement par l'effet d'un caprice, et nullement d'après les lois d'un code héraldique. Si ce code eût existé, quelle eût pu être son utilité? Les tournois n'étaient pas encore de mode, et il serait absurde de penser que des prescriptions eussent été établies dans la prévision d'évènements qui ne s'étaient pas encore présentés et dont on ne pouvait avoir l'idée. Enfin les armoiries existaient, se transmettaient même. Elles étaient les éléments d'une science, mais pas encore la science.

Le premier tournoi fut donné en France, l'an 1066, par Geoffroi, seigneur de Preuilly, ainsi que l'apprend la chronique de Tours. Sur le témoignage d'un historien étranger qui les appelle conflictus Gallici, quelques modernes ont cru devoir en attribuer le berceau à la France, et proclamer Geoffroi de Preuilly le législateur des tournois; mais il est certain que ces joutes chevaleresques étaient déjà pratiquées dans le Nord depuis près d'un siècle; et si quelques auteurs les ont appelées les combats français, c'est que nos chevaliers y brillaient par un courage, une magnificence, une adresse, une courtoisie qui passaient alors en proverbe chez les autres nations de l'Europe. On sait d'ailleurs que les tournois avaient lieu en Allemagne dès le dixième siècle, et c'est à Henri l'Oiseleur qu'on doit toute la législation des montres d'armes.

Plus une chose est ancienne, plus nous croyons devoir lui porter de respect; aussi ne faut-il pas s'étonner si quelques enthousiastes (en les supposant de bonne foi), ont cru découvrir la science là où il y en avait à peine les éléments. Les plus anciens ouvrages qu'on possède sur le blason sont des manuscrits dont aucun ne remonte plus haut que le règne de Philippe-Auguste. Encore des ouvrages sont-ils d'une faible importance. Un des plus anciens est celui de Jacques Bretex, à la date de 1285. L'auteur décrit en rimes les joutes faites à Chaunency, et s'amuse à blasonner les armoiries des chevaliers qui s'y trouvaient. On possède un autre manuscrit de 1253, sous ce titre: Les ordonnances appartenant à l'officier d'armes et les couleurs appartenant aux blasons. C'est l'extrait d'un autre manuscrit plus ancien. Il existe aussi un armorial de l'an 1312, intitulé: Noms et armures des chevaliers qui furent à Rome au couronnement de l'empereur Henri VII. Mais tous ces ouvrages ne contiennent guère que des renseignements et des ordonnances pour les joutes et les tournois.

Les premières monnaies de France portant des armoiries furent les deniers d'or de Philippe de Valois, où ce roi était représenté assis sur un trône, tenant de la main gauche un écu semé de fleurs de lis, et son épée de la droite. Ces pièces d'or, frappées en 1336, prirent le nom d'écu: c'est ainsi que l'écu royal donna son nom aux monnaies sur lesquelles il était représenté.

Beaucoup de preuves confirment l'opinion que le blason, jusqu'alors simple effet du caprice, devint une science à l'occasion des tournois. Le nom de blason que nous donnons à cet art, la forme des anciens écussons, les émaux, les figures principales, les partitions, les cimiers, les timbres, les lambrequins, les supports, les devises, les fables sur l'origine de certaines armoiries, et enfin le temps auquel se rapportent les monuments sur lesquels on les retrouve, ne laissent aucun doute à cet égard. Blasen, d'où l'on a fait Blason, est un mot allemand qui signifie sonner du cor; et si l'on a donné ce nom à la description des armoiries c'est qu'anciennement ceux qui se présentaient aux lices pour les tournois sonnaient du cor afin d'attirer l'attention. Les hérauts venaient reconnaître la qualité du gentilhomme, puis blasonnaient ses armoiries, c'est-à-dire qu'au moyen d'une trompe ou porte-voix, ils décrivaient aux spectateurs les armoiries du chevalier. Les rimes du tournoi de Chaunency, en 1285, nous en fournissent des exemples.

Cil trompoours si trompeoient
Et les bachelers amenoient
D'armes si empapillonez
Depuis l'eure que ie fu nez
Ne vi a mon gré tel meruoilles.
Un cheualier d'armes uermoilles
A cinq annets d'or en Ecu
Vi deuan tous qui sans ecu
Vient a voir la premiere joute
Comment qu'il soit ne coi qu'il coute,
Si quier as autres con li doigne.
Lors oi ecrier Chardoigne
Et puis Vianne à ces heraux
Garçons glatir, huier ribaux,
Chevaux hannir, tambour sonner, etc.



Dans les descriptions de joutes qu'a faites Olivier de la Marche, et dans celles des vieux romans, il est toujours dit que les trompettes cornèrent, et fusrent faict les cris accoustumés. Aux joutes de l'Arbre d'or, il dit: Sitost que mondict seigneur le duc fust sur les rangs, fust apporté le blason de monsieur de Chasteauguion, frère de monsieur le prince d'Orange et neveu de monsieur le comte d'Armignac. Et après fust allé querre par le géant et par le nain; fust par le géant présenté aux dames, et le nain sonna sa trompe.

Après les joutes, les chevaliers allaient souvent apprendre leurs écus dans les églises.

Quand on avait paru deux fois aux tournois, il n'était plus nécessaire de faire preuve de noblesse, puisqu'elle avait été suffisamment reconnue et blasonnée, c'est-à-dire annoncée à son de trompe. Alors les chevaliers portaient en cimier deux trompes que quelques auteurs ont prises mal à propos pour des proboscides ou trompes d'éléphant, et qui sont l'origine de toutes celles qu'on voit orner les timbres allemands.

On trouve sur les anciens manuscrits les écussons suspendus avec des courroies en penchés sur le côté, parce qu'on les attachait ainsi aux tribunes et aux balcons des maisons voisines, ce qui s'appelait faire fenêtre. On les ornait souvent en posant dessus le casque avec ses lambrequins. Chacun alors pouvait voir les armoiries des prétendants aux joutes, et l'on devisait des chevaliers, celui-ci pour la louange, celui-là pour le blâme. Les dames racontaient les anecdotes qu'elles connaissaient sur chacun, et l'expression de blasonner s'étendit ainsi jusqu'aux caquetages dont les chevaliers étaient l'objet.

C'est alors que les règles du blason commencèrent à s'établir; plusieurs nobles de même famille, portant les mêmes armes et assistant au même tournoi, prirent des signes ou des devises différents, et le plus communément les cadets ajoutèrent quelque nouvelle charge comme brisure sur le champ de l'écu. Les Allemands brisent par les cimiers, les Flamands par les couleurs, les Anglais par l'addition de quelque pièce, et les Français par des lambels, cotices, bâtons, bordures, etc. Il n'était jamais permis de prendre la devise d'un autre, car elle était presque toujours l'expression d'un sentiment particulier à celui qui la portait.

La coutume de ne point mettre en blason couleur sur couleur, ou métal sur métal, vint des ornements brodés en or ou en argent sur les vêtements, et aussi de l'habitude de revêtir l'armure par-dessus un vêtement d'étoffe.

Les tournois commencèrent en Allemagne en 938, et nous devons attribuer à ce pays les premiers éléments du code héraldique. Les Français, il est vrai, le perfectionnèrent bientôt et le portèrent en Angleterre et en Espagne.

Il est à remarquer d'ailleurs que les nations qui n'ont pas pris part aux tournois et aux croisades n'ont pas eu d'armoiries réglées. Ainsi la Russie est encore dans l'enfance de cet art, et les blasons des familles russes ne datent pas de plus de deux cents ans.

Outre les tournois, il est certain que les croisades et les voyages d'outre-mer ont contribué à augmenter la source des blasons. Le grand nombre des croix en est une preuve. Les merlettes ou oiseaux voyageurs, qu'on représente sans bec ni pattes, tantôt pour indiquer l'humilité du chevalier, tantôt pour signifier qu'il est revenu mutilé des guerres saintes; le croissant, les étoiles qu'on trouvait sur les étendards ennemis; enfin tous les monstres chimériques que dépeignait la poésie orientale, devinrent des symboles héraldiques, et ont servi plus d'une fois à des familles nobles d'indices précieux pour retrouver les traces de leur origine.

Les meilleurs auteurs qui aient écrit sur la science héraldique en font dater les commencements du règne de Louis-le-Jeune, qui régla les fonctions et offices des hérauts pour le sacre de Philippe-Auguste, et fit semer de fleurs de lis tous les ornements dont on se servit à cette cérémonie. Ce prince est le premier qui chargea son contre-scel de fleurs de lis.

L'élan une fois donné, beaucoup d'auteurs firent des traités de blason, et chacun apporta quelque nouvelle règle à l'art nouveau. Le roi Jean, qui prenait beaucoup plaisir à cette science, fut cause qu'on s'y appliqua dans un temps où les belles-lettres étaient à peine connues. On continua sous les trois règnes suivants, et cet engouement du blason s'empara si facilement de tous les écrivains du temps, qu'il passa aux historiens. Froissart, Monstrelet et Olivier de la Marche en grossirent leurs chroniques. Il n'y a guère de vieux romans qui ne soient remplis d'armoiries faites à plaisir et attribuées à des héros fabuleux. Enfin, on tomba dans le ridicule, et on alla jusqu'à donner les armoiries d'Adam, des patriarches, des prophètes, des rois de Jérusalem, d'Esther, de Judith, etc..., que Bara, le Féron, Fursten et autres ont recueillies, disent-ils, comme pièces rares et curieuses.

Devenues signes de noblesse héréditaire, les armoiries devaient nécessairement tenter la cupidité vaniteuse de beaucoup de gens; aussi les rois de France furent-ils obligés, à plusieurs reprises, de lancer des édits contre les usurpateurs.

Avant l'année 1555, les grandes familles étaient dans l'usage de changer de nom et d'armes sans l'autorisation du souverain. Cette coutume se pratiquait lors des alliances. Quand il arrivait qu'une fille était seule héritière du nom, son mari le relevait, et l'on trouvait ainsi le moyen de perpétuer une famille près de s'éteindre. Mais ces substitutions de nom et d'armes donnaient lieu à de graves abus que l'ordonnance du 26 mars 1555 tenta de réprimer. Cette ordonnance, rendue à Amboise par le roi Henri II, porte qu'il ne sera plus permis de porter le nom ni les armes d'une famille autre que la sienne propre sans avoir obtenu des lettres patentes, et condamne à une amende de 1,000 livres ceux qui usurperont la qualité de noble.

Cette mesure fut renouvelée à différentes époques. Ainsi on peut citer:

L'ordonnance de Charles IX, rendue aux états de Blois en 1560;
L'édit de Henri III, du mois de mars 1579;
L'édit de Henri IV, du mois de mars 1600;
La supplique des états généraux de 1614 au roi Louis XIII, et les édits de ce prince, du 15 janvier 1629 et du même mois 1634;
Les déclarations de Louis XIV, du 8 février 1661, 26 février 1665 et 8 décembre 1699;
La grande recherche de 1696, qui taxa à 20 livres l'enregistrement de chaque écusson;
Enfin les édits de dérogeance de 1713, 1723, 1725, 1730, 1771, tous destinés à détruire les usurpations de noblesse en frappant de dérogeance les anoblis qui s'étaient soustraits aux droits de sceaux ou de confirmation.

L'empereur Napoléon, en créant des nobles, se réserva aussi le droit de leur donner des armoiries. Les règles de l'ancien code héraldique furent suivies, sauf quelques exceptions que l'usage et même une ordonnance du roi Louis XVIII ont fait disparaître.

ECU

Ses formes, ses partitions; positions des figures sur l'écu

Formes de l'écu.

'écu, en latin scutum, était primitivement fait de bois très léger, et servait à garantir le guerrier des coups de l'ennemi, quelquefois même des intempéries. On le recouvrait de cuir, ce qui avait sans doute fait emprunter le mot scutum à l'expression grecque, bouclier. Toutes les nations se sont servies du bouclier comme arme défensive, et elles l'ont modifié selon le genre d'attaque qu'il devait repousser, selon l'arme offensive dont il devait parer les coups.

Véritable ami du soldat, celui-ci ne le quittait jamais, et, se plaisant à l'orner des emblèmes de ses caprices ou de ses affections, lui vouait une espèce de culte.

Les anciles de Rome, dont l'origine est fabuleuse, donnent une idée du respect qui s'attachait aux armes de ce genre. L'an 48 de la fondation de Rome, 706 ans avant Jésus-Christ, la peste se répandit dans toute l'Italie, et ne cessa que lorsqu'on vit tomber du ciel un bouclier de cuivre. Numa Pompilius consulta la nymphe Egérie, et rapporta pour réponse que ce bouclier serait l'égide de Rome, non-seulement contre la fureur de ses ennemis, mais encore contre la peste et tous les événements malheureux qui pourraient survenir; et qu'à sa conservation était attaché le sort de l'empire. Le prince fit fabriquer onze boucliers semblables, afin qu'il ne pût être reconnu si quelqu'un tentait de le dérober, et ces douze anciles furent confiés à un collège de douze prêtres de Mars pris dans l'ordre des patriciens. Les plus grands capitaines romains tinrent à honneur d'en faire partie; on nomma Saliens Palatins, du nom de leur temple, situé sur le mont Palatin. Tous les ans, au mois de mars, ces prêtres revêtus de robes brodées d'or, couronnés de lauriers, parcouraient la ville en grande pompe, et montraient les anciles, que chacun d'eux portait au bras droit. Le jour de cette fête, il n'était pas permis à une armée romaine, en quelque endroit qu'elle se trouvât, de faire aucun mouvement. On ne pouvait point se marier, les ventes étaient interdites, et toute entreprise commencée dans ce jour devait porter malheur. Tacite attribue le mauvais succès de l'empereur Othon contre Vitellius à son départ de Rome pendant que l'on portait les boucliers sacrés.

Les Gaulois avaient coutume, pour éprouver si leurs enfants étaient légitimes, de placer le nouveau-né sur un bouclier, et de l'exposer au courant des rivières. Si l'eau engloutissait le frêle esquif, l'enfant était déclaré bâtard, et personne ne songeait à le sauver, tandis que la légitimité était proclamée si les ondes respectaient la victime. Aussi Tacite, parlant des moeurs des Germains, nomme le Rhin, fleuve éprouvant les mariages. Le bouclier était au nombre des présents de noce que l'époux faisait à sa fiancée, sans doute pour lui rappeler l'épreuve terrible à laquelle il devait servir. On l'employait encore pour les adoptions, pour l'admission d'un jeune homme au rang de citoyen. César dit que l'habitant des bords du Rhin ne peut sortir et prendre part aux affaires publiques sans être armé de sa lance et de son bouclier; et lorsque, dans le conseil, un orateur avait mérité l'approbation publique, chaque assistant la lui témoignait en frappant sur son bouclier. Enfin c'était sur un pavois que l'on plaçait le chef élu pour le faire reconnaître de toute l'armée.

A mesure que les peuples avancèrent en civilisation, l'écu subit l'influence de l'art, se modifia et se couvrit d'ornements. Destiné d'abord à préserver l'homme de guerre des coups de l'ennemi, il lui servit encore à repousser les attaques du mépris, en faisant connaître les belles actions dont son maître pouvait s'honorer. On y représenta les hauts faits au moyen de la peinture et de la sculpture; et les boucliers devinrent des pages d'histoire, on pourrait dire des brevets d'honneur que le titulaire portait toujours avec lui. Puis, lorsque la dimension du bouclier ne suffit plus pour contenir tous les hauts faits d'un brave, il fallut employer un langage dont chaque terme fût une narration, une écriture dont chaque caractère fût un fait. L'écu se prêta encore à cet art nouveau, et, malgré les diverses formes adoptées par les nations, présenta toujours les mêmes caractères emblématiques dans ses ornements.

Quelquefois aussi ce n'était pas un fait d'armes que portait l'écu, mais seulement l'expression d'un voeu, une devise amoureuse, une menace de vengeance.

L'écu d'armoiries est le champ qui représente le bouclier, la cotte d'armes ou la bannière sur laquelle étaient brodées ou émaillées les figures allégoriques.


Ecu français

Ecu en bannière

Ecu espagnol

Ecu italien

Celui dont nous nous servons est nommé écu français. Il est carré long, arrondi aux deux angles inférieurs, et terminé en pointe au milieu de sa base. Quoique cette forme soit la plus usitée, on peut la modifier sans qu'il en résulte une faute contre les règles du blason; mais il vaut mieux la conserver telle, puisque l'usage l'a sanctionnée pour la France; d'autant plus que les autres nations ont aussi adopté des formes particulières.

Autrefois il était triangulaire, et on le posait incliné sur le côté, ce qui se voit encore sur d'anciens sceaux.

Les bannerets de Guienne et de Poitou, et assez généralement tous les seigneurs qui avaient droit de bannière à l'armée, le portaient tout à fait carré. On le nomme écu en bannières.

Les filles ou femmes le portent en losange.

Les Espagnols portent le même écu, mais tout à fait arrondi par le bas. Avilès, un de leurs meilleurs héraldistes, dit que cette forme prête beaucoup moins aux licences que se donnent les graveurs d'ajouter des ornements inutiles, licence qui constitue toujours une faute contre cette règle du blason, que no debe haber en el escudo de armas interior, ni exteriormente punto, linea, ni ornamento, que no tenga su significado, y representacion.

Les Allemands, sans affecter une forme déterminée, le font presque toujours avec une échancrure pour supporter la lance.

Les Italiens se servent de l'ovale, particulièrement les ecclésiastiques, dont la plupart l'environnent d'un cartouche, ou ornement extérieur. On présume que la forme ovale fut adoptée en Italie en considération des anciles, que la tradition dit avoir affecté cette forme.

Les Anglais, qui adoptent l'écu français, le modifient quelquefois en l'évasant à la partie supérieure.

Ecu ancien

Ecu des filles ou femmes

Ecu allemand

Ecu anglais

Il existe encore une grande variété d'écus, tels que des cartouches, dont les formes sont tout à fait arbitraires, et se prêtent à toutes les fantaisies de l'artiste.

DES DIVERSES SORTES D'ARMOIRIES

es armes des familles se subdivisent en armes pures et pleines et en armes brisées. Les armes pures et pleines sont les armes véritables et primitives de la maison; en un mot, ce sont celles attribuées au nom. Les aînés seuls ont le droit de les porter pleines et les cadets y doivent ajouter une pièce quelconque que l'on nomme brisure. Les armoiries ainsi modifiées prennent la dénomination d'armes brisées.

Parmi les armes de familles, on distingue les parlantes, qui font allusion au nom de celui qui les porte; les vraies, qui sont composées suivant les lois héraldiques et l'usage de la nation; les armes à enquerre qui pèchent contre les principes de l'art, mais qui sont cependant légitimes, parce que le souverain, en violant la règle, a voulu perpétuer le souvenir de quelque action honorable et forcer à s'enquérir des causes qui leur ont donné naissance.

On voit souvent un écusson couvert de différents quartiers dont chacun représente une armoirie complète. Ces quartiers ne sont pas toujours des alliances, et il devient nécessaire de connaître l'histoire de la famille pour comprendre la cause qui les a fait adopter. Les quartiers que l'on peut ajouter à ses armoiries doivent toujours avoir une signification, et on les distingue sous les noms d'armes de domaine, d'alliance, de communauté, de succession, de prétention, de concession, de substitution, etc.

Armes de domaine et de possession. Ce sont celles qui, appartenant à un pays, sont prises par un prince régnant comme indice de sa souveraineté ou de sa suzeraineté.

Armes d'alliance. Lorsqu'une famille tient à honneur d'avoir eu des alliances par mariage avec quelques maisons puissantes, on rassemble ces armoiries en pennon d'armes, et l'on pose sur le tout l'écu de la maison dont il s'agit. Le pennon généalogique contient les quartiers de toutes les alliances d'une maison.

Armes de communauté. Ce sont celles qui sont attribuées à des ordres ou chapitres nobles, couvents, confréries, académies, sociétés savantes etc., etc.

Armes de succession. On donne ce nom aux armes que les héritiers ou légataires étrangers à la famille, prennent en vertu des clauses testamentaires avec les fiefs et les biens du donateur.

Armes de prétention. Ce sont les armoiries de domaines sur lesquels un souverain ou un seigneur croit avoir des droits, soit en vertu de traités anciens, soit par succession, et qui sont cependant entre les mains d'un autre possesseur.

Armes de concession. Un souverain, en récompense de grands services rendus par un noble, lui concède souvent une partie de ses armoiries; c'est un grand honneur pour une famille. La maison de Bourbon a souvent concédé les fleurs de lis. Il est très rare cependant qu'un prince concède ses armoiries pleines. Les armes de concession se placent ordinairement soit au chef, soit au point d'honneur, mais rarement en quartier.

Armes de substitution. Ce sont les armes qu'on prend avec un nom étranger et qu'on substitue aux siennes propres, en vertu d'un contrat de mariage ou de quelque autre titre qui l'ordonne ainsi.

On donne le nom d'armes chargées aux armes sur lesquelles on a ajouté une pièce. Ainsi, par exemple, les armes sont chargées quand elles sont augmentées d'une arme de concession.

Beaucoup d'héraldistes reconnaissent encore une sorte d'armoiries; ce sont celles de dignités. Elles consistent principalement dans les ornements, et font connaître la charge qu'on exerce, la dignité, l'emploi dont on est revêtu. Le blason de l'empire français avait adopté ce mode, en ajoutant toujours aux armoiries un quartier ou canton, portant le signe indicateur du titre ou de l'emploi du titulaire.

Un assez grand nombre de familles appartenant à la bourgeoisie possède aussi des armoiries. Ce droit leur fut concédé par les souverains; en 1696, les traitants en délivrèrent avec une prodigieuse facilité, moyennant une faible somme, mais elles ne furent jamais confirmées.